Au-delà de mes un mètre cinquante. : Récit d'une nuit en jungle urbaine.

jeudi 3 avril 2014

Récit d'une nuit en jungle urbaine.

Un p'tit pétard, j'aime bien ça moi. Nous voilà en route vers la place de l'Eglise pour s'en fumer un avant de se quitter.
Je vois défilé devant mes yeux toute sorte d'alcool et de répliques. Les gens sont ivres, heureux et quelque fois violents. Alors je pense à scruter autour de moi, comme si je faisais quelque chose de mal. Un p'tit pétard, qu'est-ce que c'est ? Pas grand chose...? Mais un p'tit pétard, c'est interdit. Alors je pense à moi. "J'suis plus une gamine, ça y est". J'ai eu dix-huit ans, j'ai gagné ma parole, mais je me demande quelle valeur a-t-elle...
Il est minuit passé, la fatigue se fait sentir et on aimerait bien se glisser dans notre lit. Nous rejoignons le quai de tramway parmi les passagers qui attendent. On a de la chance, plus que quelques minutes. Alors nous parlons argent. Tout le monde parle argent. Mais l'argent n'a pas le même gout dans toutes les bouches. Regardez-nous donc ces jeunes entrain de s'imaginer une fausse identité entre deux rires étouffés. Frauder, ça fait quasiment partit du quotidien. Ce n'est pas de la délinquance, c'est de l'économie.

Le tramway est presque vide. Quand un "il y a les flics !" se fait entendre, cela a suffit pour semer une petite pagaille en l'espace d'une minute, le temps que le tramway s'arrête à quai. Un contrôleur nous fait descendre. Notre ticket "30 voyages" un peu trop abîmé n'a pu valider que deux d'entre nous trois. "Je vous fais une amende pour trois". Et nous réglons tout de suite la somme d'un tarif normal, contrairement au tarif appliqué normalement pour une amende payée sur place. Lorsqu'il nous salue, je vois des hommes en noir se diriger vers nous. Je lis l'inscription "police" sur leur uniforme. Mon cœur se met à palpiter plus vite, je commence à trembler et à me sentir très mal à l'aise. Je pense à tout, mais surtout au fait que je n'ai absolument rien à me reprocher, même pas cette fraude de tram. J'ai peur, mais pas pour moi. Une femme s'approche, me parle calmement mais sur un ton ferme. Elle me demande si je n'ai pas d'arme sur moi tout en me palpant le corps. Tout ce que j'ai pu répondre c'est "bah non..". Je la regarde s'accroupir, elle a le visage fermé. Je lui dit alors "C'est la première fois que ça m'arrive, ça me fait un peu bizarre...", comme si je voulais m'excuser. Puis j'ai compris en voyant son regard et son sourire crispé que c'était moi qui devait l'excuser. Je ne la connaissais pas, elle n'a pas manqué de respect sauf d'un peu de tact. Je l'ai alors imaginé me répondre : "Je ne fais que mon travail mademoiselle".

Après avoir digéré cette atteinte à ma personne, j'ai vu le reste de leur troupe s'acharner sur mes amis. Quand ils ont ouvert le sac, j'ai cru assisté à la découverte du Graal. Entre deux paquets de crêpes et de gaufres, ils ont trouvé un beau grinder et une petite boite. Je ne sais pas si je dois rire ou pleurer de la situation que je suis entrain de regarder (et des "blagues" qui ne feraient pas rire un phoque). Il m'est déjà arrivé une fois de parler à des gendarmes, toujours en situation de tort évidente. Mais dans ce genre de situation, on essaie de chercher la part d'humanité derrière ces déguisements qui leur collent parfois un peu trop à la peau. Je les regarde parler devant moi, ils forment un cercle et je peux observer chacun de leur visage. Ce que je vois, c'est une horde de chacals aux grandes dents, riant ouvertement et fiers comme des coqs. Dans leurs mains, ils se font passer les trouvailles de leur petite chasse aux trésors, ce sont leurs trophées. Et là, je le vois partir. J'entends "On va l'embarquer au poste". Ma gorge se serre, je ne peux pas m'empêcher de pleurer, je suis juste un peu terrifiée. Je les regarde tous, je cherche un regard. Là, je ressens de la haine. Ils me fuient tous. Sauf un. Un monsieur que je n'avais pas vu, qui me regarde et me dit de me rendre à tel endroit, c'est là que se trouve le poste, et qu'on pourra l'attendre devant. Sans attendre, on se dirige alors vers le poste de police. Il est une heure du matin, et nous voilà traversant la ville à pied. On recroise le camion qui l'a emmené. Je me pose des questions, je repense au gamin que j'ai vu se faire prendre lui aussi. Je pense à ceux qui étaient un peu trop bien habillé pour se faire fouiller. Je pense encore et encore au sens du mot "justice".
A l'entrée, un interphone. On sonne, et un gros monsieur décroche, il a l'air un peu (beaucoup) embêté. Il n'a vu personne, ou la personne dont on lui parle est déjà partie depuis un petit moment. Il ne peut rien faire pour nous, et nous envoie gentiment de l'autre côté du bâtiment. Un jeune homme nous accueille, et nous demande d'attendre devant la grille. On regarde rentrer et sortir des voitures du parking, en recevant toute l'indifférence que l'on mérite. Le jeune homme ne peut rien faire pour nous non plus.

Enfin, plus de peur que de mal au final. Peu de temps avant cette petite mésaventure, je m'interrogeais sur la notion de justice, j'allais même en faire un article. De nos jours, quelle valeur a la justice que les hommes se sont approprié ? Le respect des lois est-il devenu un prétexte pour dépouiller le plus pauvre d'entre nous ? Quand leur mission est celle de l'intérêt général, pourquoi nous font-ils avoir le sentiment d'être des criminels ?
Nous vivons dans une société où l'argent ne fait pas le bonheur, et pourtant, c'est lui qui règne en maître.

Nous faisons partit d'une génération dont les relations avec les figures de la justice peuvent être conflictuelles. Quand eux se plaignent des caillasses reçues lors de manifestations, nous nous plaignons de l'insécurité qui règne dans certains quartiers. Lorsque l'on revendique une liberté, ils sont là pour l'entraver. Quand à cela s'ajoute les problèmes de racisme, homophobie, machisme et autre problème d'égo, il est bien évident que sans "bons policiers", il n'y pas de "bons citoyens".

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